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Violences sexistes

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Voilà un sujet d’écriture qui mérite notre attention à tous, hommes ou femmes. L’objectif de ce blog est de recenser des histoires vécues, sous quel que format que ce soit, s’articulant autour du sexisme. Puisque c’est un sujet qui me tient à coeur, j’ai participé avec un modeste texte « Histoires », que je vous met ci-dessous.

Certains textes sont poignants, je vous propose d’aller y faire un tour : http://polyvalencemonpote.com/

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Il est assez délicat de commencer. Clairement je suis une femme privilégiée : on m’a rarement fait de remarques sur la longueur de ma jupe (et pourtant je suis abonnée au court-très court), mon compagnon a été élevé par des féministes (et même si parfois l’aspirateur lui fait peur, il est consciencieux), mon entourage n’attend pas que mes actes soit l’exact reflet de ce qui est attendu de mon genre et je n’ai jamais subi d’agressions sexuelles. Par contre, je me destine à devenir assistante de service social et au cours de mes stages j’ai pu voir toutes les horreurs sexistes infligées tant aux femmes qu’aux hommes, quel que soit leur âge, pour la seule raison d’une volonté de pouvoir. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de raconter une histoire, mais des histoires.

Celle de ce gamin qui voudrait se frapper parce qu’il pleure, qui nous supplie de ne jamais dire à son père qu’il a pu être en état de faiblesse en public, devant des femmes. Parce qu’on lui a répété, depuis tout petit, que « les vrais hommes ceci », « les vrais hommes cela ». Ce gamin a 14 ans et il est déjà fragilisé dans l’expression de ce qu’il ressent, tellement détruit par le poids de cette norme sociale qu’il n’ose dire qu’il souffre dans sa famille et qu’il se sent comme un enfant abandonné. On soupçonne les coups mais en face, il y a un adolescent qui se transforme en mur. Un garçon, c’est fort, c’est viril, ça pleure pas. Que faire quand on en a envie ? On se tait et on va frapper ses camarades car la violence est le seul exutoire autorisé.

Celle de cette gamine que son prof de sport dénigre parce qu’elle est ronde. « Tu voudras être une femme grosse plus tard ? Les belles femmes ne sont pas grosses ». Cette gamine qui pleure, tant plongée dans sa relation tumultueuse avec les aliments qu’elle en a perdu 15 kilos et qu’elle est incapable de regarder un garçon dans les yeux, de peur qu’il ne lui fasse des remarques sur son poids, que son regard trahisse la graisse qu’elle estime avoir en trop.

Celle de cette gamine qui a été forcée de faire des fellations à tout son quartier, qui a osé parler et osé lever le voile. Elle a moins de 15 ans et certains des hommes ayant profité d’elle ont plus de 18 ans. Normalement, agressions sexuelles sur mineure de moins de 15 ans n’inclut pas la notion de consentement. Et cette gamine, à ce procès, qui a vu l’intégralité de ces hommes relâchés, acquittés. Il paraît qu’elle était consentante malgré tout, à 13 ans, que c’était un choix. Le poids des menaces devient anecdotique et on a assisté au mépris de l’assistance. « Ah cette jeunesse … ». Jeunesse qui a dû déménager, avec sa famille, pour pouvoir continuer le cours de sa vie.

Celle de cette femme qui n’a pas de carte bleue car son mari le lui interdit. Il paraît qu’elle dépense trop, qu’elle est trop frivole et que c’est un acte sérieux, dépenser. Elle n’a pas de téléphone portable non plus, pas pour l’empêcher d’appeler mais pour empêcher que le monde extérieur la contacte. Elle n’a même pas le droit de sortir la journée, à part pour acheter du pain et faire prendre l’air au petit dernier. D’après son mari, elle est peu conne quand même, pas très futée, heureusement qu’elle est un peu jolie. Un travailleur social arrive à conclure que « dans ce couple il y a quand même beaucoup d’amour » et on se confronte à un mur lorsqu’on essayait d’expliquer que non, il n’y a pas d’amour dans les violences économiques et psychologiques.

Celle de cette amie qui, lors de son orientation en lycée, s’est vue proposé un BTS commerce alors qu’elle souhaitait devenir ingénieure. Son cuisant sentiment d’être dénigrée lorsque la conseillère d’orientation a haussé un sourcil désapprobateur car ce n’est pas un milieu très féminin. C’est quand même beaucoup de maths, ingénieur. Elle qui aujourd’hui a réussi, qui est dans une des meilleurs écoles de France et qui prouve qu’une femme est l’égale d’un homme, quel que soit son domaine d’activité.

Celle de cette femme qui cache ses coups et qui nous regarde avec superbe. Elle qui ne trahira jamais son mari parce que c’est comme ça que ça doit se passer. Qu’il faut rester pour les enfants.

Celle de cet homme qui est regardé de travers dans son entreprise parce qu’il souhaiterait prendre un jour de congé, pour aller au carnaval de l’école de son petit. Lui qui se déplace au collège lorsque son aîné est malade car sa femme ne peut quitter son poste. Lui qui suscite étonnement et félicitations pour un acte anodin.

Celle de cette femme qui élève seule quatre enfants et qui doit subir non pas la violence d’un époux mais la violence d’un fils. Parce qu’il a 19 ans et qu’il se déclare l’homme de la famille. Lui qui se prend pour un père et qui caresse les cheveux de sa mère, qui donne des fessées à ses petits frères. Elle qui ploie devant la force de cette voix masculine qui a décrété qu’il devait y avoir un homme pour diriger.

Celle de cet homme que le service social oublie de contacter. En protection de l’enfance, les mères sont partout et les pères absents, volontairement ou contraints.

Celle de cet homme qui a été oublié lors la réflexion sur le mode de garde, parce que c’est un homme et que sa femme est présente et accepte de garder les enfants. Pourquoi un débat alors qu’elle est d’accord. Il baissera la tête, sûrement.

Celles-ci et encore bien d’autres. Tout le poids des normes sociales qui pèsent sur les individus et créent des dysfonctionnements. En effet, quoi que certains en pensent, ces normes ne sont pas naturelles, elles écrasent la personne, sa personnalité. Ces histoires, on peut les retrouver dans notre bureau en tant qu’assistant-e de service social, à écouter toute cette misère, cette colère, cette souffrance. On devra faire face à notre impuissance car malgré notre accompagnement, nos possibles solutions, parfois rien ne se résout. Ce n’est pas nous qui changerons la société. Et tous les jours, nous verrons sous nos yeux ces mots, ces actes, cette ignorance qui fragiliseront la vie de milliers de gens. Il y a des histoires qu’on verra mais il y a également toutes celles qui resteront dans l’ombre et dans le silence des familles.