Le chant du vieux fou (II)

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Second défi proposé par Olivia Billington, suite de ce texte.

*

Au fond d’une ruelle sombre s’élevait un immeuble crasseux, un parmi tant d’autres, perdu dans une uniformité de couleur. Des dizaines d’appartements s’y entassaient, sans ordre ni logique. Des cris étouffés résonnaient dans le corridor, calfeutrés par une porte en béton. Une femme, prostrée, pleurait de tout son soûl, sa douleur rythmant la rage verbale de son compagnon. Celui-ci avait les mains qui voltigeaient avec force, l’œil injecté. Quelle déposition pourrait-elle faire au conseil de sécurité ? Ce n’était pas son corps qui était marqué par les coups. Plus il criait, plus elle pleurait, terrifiée. Ses mots étaient brûlants, de véritables flèches acérées qui ne manquaient jamais leur cible. Engoncés dans leur dispute, aucun des protagonistes ne voyaient la pluie marteler leur vitre. Il criait, elle pleurait et le bruit du tonnerre en était noyé. Ils s’arrêtèrent brutalement, face à face, quand la Terre trembla, faisant vaciller leur immeuble. Le silence, enfin, finit par les relier par un frêle filin invisible. Il se rapprocha d’elle, la tête baissée par la méfiance. La lumière, sans crier gare, s’éteignit, le faisait sursauter de frayeur. La pénombre était déchirée par les éclairs qui se rapprochaient inexorablement. En soupirant, elle se dirigea vers l’interrupteur dans une volonté d’allumer l’ampoule dénudée qui trônait au milieu du salon. Rien ne se produisit, comme si son geste n’avait tout simplement pas existé. Ses yeux s’agrandirent de surprise. Elle se vint le rejoindre et ils écoutèrent le mur, le vent qui hurlait de colère et les milliers de pas qui, dehors, foulaient l’asphalte. D’un même mouvement, le couple sortit de leur appartement, tombant nez à nez avec les voisins qui dévalaient les marches. L’inquiétude suait de leurs pores, inondant l’atmosphère.

Arrivés dans la rue, ils se retrouvèrent à patauger dans la boue jusqu’à mi-mollet. D’habitude, elle leur effleurait à peine la cheville. Elle leva les yeux vers le ciel qui se déchaînaient au-dessus de la Ville, rugissant et dévastateur. La population s’agglutinait dans les ruelles miteuses, se bousculant dans un maelström inextricable pour fuir la Ville qui menaçait de s’effondrer sur elle-même. Il la tirait avec force par la main mais, sans savoir pourquoi, la jeune femme ne réagit pas, fascinée par cette Nature dangereusement expressive. L’eau s’infiltrait partout et la boue charriait toutes les immondices de la civilisation environnante et fourmillante.

– Nadia ! Nadia !

Il insista, pour le principe, mais arrêta vite de vouloir attraper sa concentration pour lui indiquer le chemin ; il voulait lui parler mais elle ne le voyait pas. Son regard acéré venait de remarquer une fleur flottant au milieu du flot énergique. Elle la saisit, découvrant ainsi que ce n’était pas une vraie fleur. La déception lui effleura le cœur, cela faisait si longtemps qu’elle n’en avait pas vu … Néanmoins, la finesse de l’ouvrage lui renversa les sens. Qui avait sculpté cette merveille de réalisme, véritable ode à une nature bafouée ?

Un fracas épouvantable la ramena à la réalité : à cent mètres de là, un immeuble venait de s’effondrer, suivit par ses voisins proches. La Ville semblait alanguie sur des tonnes de dynamite et un esprit cruel semblait s’amuser à appuyer sur le détonateur, au hasard. Et si le prochain immeuble lui tombait dessus ? Allait-elle mourir ? La jeune femme prit la fuite, pleurant d’impuissance. Elle n’avait jamais accepté le traitement fait à l’environnement, elle en avait déjà craint le retour de bâton mais avait été raillée à chaque fois qu’elle s’était confiée. Elle courrait aussi vite qu’elle le pouvait, le cœur déchiré par l’abandon de l’homme qu’elle aimait, son agressivité, la Terre qui se révoltait et elle, perdue au milieu de ce tumulte, violentée comme une brindille sèche, dont la seule erreur avait été de se taire.

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